Alors qu’on attend toujours une réaction de Bob Dylan, lauréat du Prix Nobel de littérature 2016, le titre de l’une de ses chansons nous revient à l’esprit « I’m not there ».
La vie, la musique, les paroles de Dylan ont toujours été énigmatiques. Pourtant, tout au long de sa carrière, il a répondu à de nombreuses interviews, écrit son autobiographie, donné plusieurs centaines de concerts par an; une montagne de livres et d’expositions lui ont été consacré, Martin Scorsese lui a rendu hommage dans un film documentaire. L’homme, explique le critique musical Anthony Decurtis, est la parfaite définition de « hidden in a plain sight » – caché à la vue de tous. « Il a mis au point une version de lui-même qui lui permet d’être disponible pratiquement partout – tout en laissant très peu de choses sur lui-même être connues. C’est un exploit qui semble impossible à réaliser dans notre société ultra-médiatique mais Dylan l’a réussi », poursuit Decurtis.
Dylan n’est jamais là où on l’attend. Il a cette capacité incroyable à se réinventer et se métamorphoser. Les changements physiques et vestimentaires de l’artiste – accompagnant ses évolutions musicales – sont au moins aussi importants que ceux de Madonna (Bob Dylan : a biography, Bob Batchelor). Ils témoignent d’une personnalité protéiforme. Dylan, c’est l’homme caméléon de la mode.
Ses textes, emplis de références bibliques et littéraires – Rimbaud, Verlaine, William Butler Yeats, Shakespeare, William Blake, Robert Browning etc. – sont extrêmement élaborés. Ils sont parfois difficilement déchiffrables. Le mystère fait partie de son écriture. « Don’t follow leaders / Watch the parkin’ meters », écrit-il dans une de ses célèbres chansons Subterranean Homesick Blues (1965). « Je ne sais pas comment j’ai pu écrire ces chansons. Ces chansons du début ont été presque écrites de manière magique », explique-t-il dans une interview accordée à la chaîne américaine CBS en 2004. En 2008, le jury du prix Pulitzer lui décerne une mention spéciale pour « son profond impact sur la musique populaire et la culture américaine ».
Sa façon de se vêtir (et parfois même de se déguiser) révèle un artiste soucieux de son apparence. Peu à peu, l’habit devient le support de ses multiples transformations, le terrain de toutes ses expérimentations. L’apparence physique de l’artiste n’a cessé d’évoluer au fil des années et des sorties de ses albums – ce qui rend le déchiffrage de son style particulièrement ardu. Dans le film « I’m not there » qui lui ait consacré, le réalisateur Todd Haynes fait appel à six acteurs différents pour incarner l’icône américaine – un artiste à ce point complexe et divers ne pouvant être représenté qu’à travers plusieurs personnages.
Cheveux bouclés ébouriffés, lunettes noires, chemises à pois et perfectos : depuis ses débuts Bob Dylan a le sens du style. Dans les années 1960 : une silhouette longiligne fondue dans des pantalons slim et perchée sur des boots à talons cubains. Une préfiguration du look Slimane. Vestes en daim, cols roulés, pantalons rayé esprit pyjama, le style est à l’origine plutôt sage. La pochette de son album « Blonde on blonde » en 1966 est une photo de lui shootée par Jerry Schatzberg. Echarpe à carreaux noirs et blancs, veste marron et jean : le look est simple, androgyne. S’ajoutent peu à peu des touches folk et « hobo ». En juillet 1972, au Mariposa Folk Festival, Bob Dylan apparaît vêtu d’un bandana dans les cheveux. En 1976, il porte un foulard sur la tête lors d’un concert en Floride en mode gypsy. L’œil charbonneux, chapeau orné de fleurs, Dylan adopte le « bohemian style » pour sa tournée « The Rolling Thunder Revue », qui se produisit aux Etats-Unis et au Canada durant l’automne 1975 et le printemps 1976. Avec son album « Desire » (1976), le look prend des accents western/country. Dans les années 1980, le style devient délibérément rock : veste en cuir à franges, pantalon en cuir, veston sans manche. Dans les années 1990, on le voit photographié dans la rue avec gants en cuir, veste en velours et chapeau haut de forme (déjà porté dans les années 1960). Pour la sortie de son dernier album, « Shadows in The Night » (2015), entièrement constitué de reprises de chansons enregistrées par Frank Sinatra des années 1940 au début des années 1950, Bob Dylan revêt son costume de crooner – santiags blanches, chapeau clair à larges bords et veste noire brodée de motifs brillants.
Il est difficile de recenser toutes ses mues, tant elles sont nombreuses – comme si Bob Dylan cherchait à s’effacer, être personne et tout le monde à la fois, comme s’il instituait une distance critique vis-à-vis de lui-même et du monde pour mieux prolonger sa quête de sens.
















